Relation amoureuse au travail : que peut faire l’employeur ?


Relation amoureuse au travail : que peut faire l’employeur ?

Selon un sondage Ipsos de 2018, 14% des couples se seraient constitués au travail, soit environ un couple sur sept. Et pour cause, le lieu de travail permet de multiples interactions sociales pouvant favoriser le développement de relations amoureuses au travail.

Mais que faire lorsque ces relations amoureuses débordent sur la sphère professionnelle du travail ? Un employeur peut-il sanctionner un comportement jugé fautif d’un ou d’une salariée lié à une relation amoureuse née et entretenue au travail (exemple : disputes sur le lieu de travail, utilisation du matériel professionnel à des fins personnelles, harcèlement sur et en dehors du travail….etc) ? Comment doit-il réagir pour préserver la sérénité du cadre professionnel ?

Un récent arrêt de la Cour de Cassation illustre toute la difficulté d’appréciation pour l’employeur confronté à une telle situation.

1. Relation amoureuse au travail et harcèlement : faits et procédure

Un salarié entretient pendant plusieurs mois une relation amoureuse avec une de ses collègues de travail. Celle-ci est faite « de ruptures et de sollicitations réciproques ». Le couple finit par mettre fin à cette relation, semble-t-il d’un commun accord.

Néanmoins, épris de jalousie, le salarié pose une balise GPS sur le véhicule personnel de son ex-compagne, à son insu. En parallèle, il lui adresse plusieurs messages intimes via sa messagerie professionnelle.

Alerté par ces agissements, l’employeur engage une procédure de licenciement à l’encontre du salarié. L’employeur considère que ces agissements constituent un harcèlement moral. In fine, l’employeur prononce un licenciement pour faute grave.

Le salarié conteste son licenciement : les faits relèvent de sa vie privée et ne peuvent pas justifier un licenciement disciplinaire.

L’affaire est portée jusqu’à la Cour de Cassation. La Haute Cour donne finalement raison au salarié : elle estime que les faits reprochés au salarié ne constituaient pas un harcèlement moral. Elle juge notamment que la balise avait été posée sur le véhicule personnel de la salariée, et que l’envoi de courriels s’était limité à 2 messages. Enfin, les juges ont estimé que les faits n’avaient eu aucune conséquence sur la sphère professionnelle. (Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 16 décembre 2020, 19-14.665).

2. Distinction vie personnelle / vie professionnelle

Un fait tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier son licenciement. Ce principe jurisprudentiel est tiré d’un droit fondamental selon lequel « toute personne a droit au respect de sa vie privée » (Article 9 du Code civil).

Sur la base de ce principe, il a ainsi été jugé que ne justifiait pas un licenciement, car relevant de la vie personnelle :

  • Le fait pour une salariée d’acheter une voiture de marque différente de celle de son employeur (Cass. soc., 22 janvier 1992, n°90-42.517).
  • La condamnation par le tribunal correctionnel d’un clerc de notaire pour aide à un séjour irrégulier d’un étranger (Cass. soc. 16 décembre 1997, n°95-41.326).
  • L’accident de la circulation causé par le salarié ayant entraîné le décès d’un usager de la route (Cass. soc. 20 décembre 2017, n°16-14.179).

Ainsi, la relation amoureuse ne constitue pas en soi un motif de licenciement (Cass. soc. 21 décembre 2006, n° 05-41140).

Cependant, la frontière entre vie personnelle et professionnelle est souvent ténue. Une faute commise par un salarié dans sa vie personnelle peut entrainer des conséquences sur l’entreprise. Dans ces conditions, un licenciement serait justifié en cas de trouble caractérisé pour l’entreprise. (Exemples : atteinte à l’image de l’entreprise, incompatibilité du manquement commis avec les fonctions exercées, manquement du salarié à une des obligations découlant de son contrat de travail).

Or, déterminer si un comportement fautif relève ou non de la vie personnelle du salarié s’avère souvent périlleux.

Un faisceau d’indices peut être dégagé en répondant par exemple aux questions suivantes :

  • Le comportement du salarié s’analyse-t-il en un manquement à ses obligations professionnelles ?
  • Le manquement a-t-il été commis au lieu et durant le temps de travail ?
  • Ce comportement entraine-t-il des répercussions sur l’entreprise ? Si oui, quelles sont-elles ?

Dans une telle situation, le Pôle Social de GMK Conseil saura vous accompagner afin d’éviter les pièges.

3. L’employeur, seul face à son obligation de sécurité de résultat ?

La clarté de la décision rendue ne la rend pas moins contestable. Celle-ci s’avère même particulièrement sévère à l’endroit de l’employeur : face au harcèlement moral exercé par un de ses salariés, il a agi promptement. L’employeur a d’ailleurs l’obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et la santé physique des salariés (Article L. 4121-1 du Code du travail). A ce titre, il protège ses salariés contre toute forme de harcèlement.

Pourtant les juges de la Cour d’Appel ont considéré que les agissements du salarié « n’avaient eu aucun retentissement au sein de l’agence ou sur la carrière de l’intéressée. » Cette motivation interroge forcément : l’appréciation d’un trouble objectif peut-elle se réduire à la seule recherche des conséquences sur la carrière professionnelle de la salariée ?

En l’espèce, il est difficile d’imaginer que les agissements de ce salarié n’auraient eu aucune conséquence sur l’entreprise. Une salariée recevant des messages intimes et apprenant qu’elle est géolocalisée par un collègue peut-elle réellement venir travailler en toute sérénité ? Ces agissements peuvent-ils avoir un impact sur son travail ? Qu’aurait-on dit si l’employeur n’avait pas réagi et que la situation avait dégénéré ? Cet arrêt accentue la difficulté pour l’employeur d’agir face à un manquement commis dans la sphère privée et dont les conséquences sur l’entreprise ne sont pas toujours faciles à appréhender.

Il sera ainsi tiraillé entre deux obligations : préserver la santé et la sécurité des salariés et respecter la vie privée de ces derniers. Ne restez pas seul face à vos doutes et faites vous accompagner.

Maître Alexandre KANDEMIR

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